En Russie, les trafiquants de drogue utilisent le darknet pour tisser leur toile jusqu'en Corée du Sud (2024)

Le darknet et la Russie, terrains méconnus du trafic de drogue:Des trafiquants de drogue russes, férus de technologies, utilisent le darknetpour tisser leur toile au-delà des frontières russes,à coups de publicité, mais aussi d'expéditions punitives parfois mortelles IRL (in real life -dans la vraie vie),explique le journaliste Max Daly,ancien de Vice.Aujourd'hui, dans une passionnante enquête pour le Guardian,Max Daly nous emmène des rues de Moscou à celles de Séoul,en passant par les champs de bataille de l'Ukraine. L'occasion de comprendre que ce système, qui mêle technologies, paiements en crypto-monnaie et commercialisation physique,pourrait bien "servir de modèle à d'autres régions du monde".

À tout moment, en Russie, des milliers de paquets de drogue sont enfouis dans le sol,attachés par des aimants à des lampadaires ou collés sous des rebords de fenêtres,attendant d'être ramassés par des clients.Fini, "l'achat de drogues de la main à la mainavec un dealer qui peut mettre des heures à arriver,avec des voyous qui peuvent ensuite vous dépouiller",raconte un expert de l'Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée,qui a travaillé sur la question avec le journaliste britannique du Guardianet avec Patrick Shortis, spécialiste de la criminalité financière pour un rapport édifiant. Et d'insister: les achats se font en ligne, sur le darknet, la face cachée et opaque d'Internet.Les narcotrafiquants s'offrent des sites web somptueux, note le journal en ligne russe Lenta. Dans une Russie isolée sur le plan géopolitique,dans un pays à l'inflation élevée et aux perspectives économiques limitées, ces criminels arrivent recrutent sans peine "une armée de jeunes kladmen",des "planqueurs" âgés de seulement 14 ans, parfois, note le Guardian. Ils multiplient les "dead drops",des lieux secrets où la drogue est dissimulée.Les kladmen ne déverouillent, en quelque sorte,l'accès aux adresses où retirer la droguequ'une fois que les achats en ligne ont été effectués, précise le Guardian.Il existe même une "Bible du kladman", révèle le quotidien britannique,où il est expliqué comment emballer et cacher la drogue en tenant compte, par exemple, du climat hivernal russe,comment effacer ses empreintes de pas dans la neige,tout en évitant la police.

Le "produit phare" de ce trafic est la méphédrone, une poudre stimulante connue en Russie sous le nom de "sel", indiquele Guardian. Elle peut être "conditionnée sous forme de pilules ou de comprimés". Cette substancechimique de synthèse est considérée comme un substitut bon marché de la cocaïne et de la MDMA, précise le journal britannique ainsi que le magazine en ligne Salon. La méphédroneest fabriquée à partir de produits facilement disponibles en Chine, dans une sorte de circuit court, sans passer, par exemple par l'Amérique du Sud pour la cocaïne;ce qui signifie, relève le Guardian,que "la production peut avoir lieu à proximité du marché",avec distribution de méphédrone, dans les rues de Moscou ou de Sibérie.

Publicité au grand jour avec des bus, affiches et même vidéos audacieuses

Une cyber-guerre se joue aussi sur le plan marketing pour dominer le marché depuis 2022 et lafermeture d’Hydra, le plus grand marché de drogue au monde sur le darknet, explique le journal en ligne russe Lenta. "Quatre nouvelles plateformes Mega, Kraken,OMG! OMG!, et Blacksprut se disputent désormais les clients", explique le Guardian. Ces narcotrafiquantsn'hésitent pas à faire leur pub au grand jour.Un grand bus noir, diffusant de la musique électro, avec le logo de Kraken et un QR Code permettant d'acheter de la drogue a été utilisé pour bloquer l'une des rues les plus fréquentées de Moscou,près du ministère des affaires étrangères, précise Lenta.Un an auparavant, la créature mythique Kraken, avec ses tentacules,était apparue sur un grand panneau publicitaire télévisé, à Moscou, comme si le Kraken était dans un aquarium. Des publicités ont également été vues dans le métro de la capitale. Et puis, "Moriarty, la figure de proue masquée du plus grand marché du darknet, Mega, nargue régulièrement les autorités russes", écritle Guardian.Ce personnage aux 3 millions d'abonnés sur YouTubese met en scène dans des vidéos presque hollywoodiennes,où il se targue de s'enrichir grâce à la drogue, d'échapper à la police et de servir de modèle à la jeunesse. Ce "Moriarty"apparaît en costume noir, sous-pull noir, mains gantéeset visage masqué sous une tête de mort, ressemblant à unmange-mort sorti des films Harry Potterou une nouvelle version, donc, de l'ennemi juré de Sherlock Holmes, sous la plume de Conan Doyle. Dans un extrait vidéo diffusé parle Guardian, on peut entendre "le professeur Moriarty, propriétaire de Mega, sur le darknet", expliquer "comment les cartels et d'autres entités compétentes arriver à cacher leurs employés.Imaginez que vous êtes sur la liste des personnes recherchées par les autorités fédérales ou qu'une mafia assoiffée de sang vous traque... Réussirez-vous à sauver votre peau?Et bien moi, je n'ai pas besoin de l'imaginer",se vante ce personnage masqué. Les sites du Darknet ont investi, affirme le journal russe Lenta,dans les relations publiques et de marketing.

La réalité du trafic de drogue est brutale:la lutte pour la domination du trafic de drogue est sans pitié,soulignent le Guardian et Lenta.Des hommes de main s'en prennent aux "kladmen qui ont reçu de mauvaises critiques de la part d'acheteurs qui n'ont pas trouvé leur drogueou ceux qui sont soupçonnés d'avoir volé", rapporte Max Daly pour le journal britannique. Ces passages à tabac, qui vont jusqu'à des doigts coupés voire des meurtres,sont à leur tour filmés et diffusés sur les réseaux sociaux, précise le Guardian, sous la forme de mise en garde et d'exaltation toxique de virilité.

Ces narcotrafiquants du darknet arrivent à vendre leurs drogues jusqu'en en Ukraine, dans les zones occupées par la Russie: "Un mois après la chute de Marioupol, une boutique appelée CaifCoin recherchait des kladmen", des planqueurs, racontele Guardian.Le phénomène s'étend à la Corée du Sud,si bien que le gouvernement déclaré une "guerre totale" contre les vendeurs de drogue en ligne,après qu'une adolescente de 14 ans a été retrouvée dans des toilettes publiques, elle aurait acheté de la drogue avec de la cryptomonnaie, rapportentle Guardianmais aussi lequotidien sud-coréen Chosun Ilboet l'agence de presse sud-coréenne Yonhapet la télévision publique KBS. La radio Deutsche Welleexplique même comment des trafiquants de drogue s'adaptent au marché local, en instrumentalisantla culture du résultat, la pression de la réussite en Corée:ces criminels auraient prétendu aux enfants que leurs "boissons énergisantes" - contenant de la méth- les aideraient à mieux étudier.